Lorsqu’un service, autre que le traditionnel service après-vente, se greffe à votre produit pour en augmenter la valeur, on dit qu’il y a servicisation. Mais qu’en est-il pour votre entreprise et ses compétences-clés acquises depuis des années et qui, surtout, ont fait votre succès? Quels seront les impacts sur vos activités, vos clients, vos partenaires? Il s’agit de votre modèle d’affaires après tout… Mais, ce qui fonctionnait avant, ça tient toujours? Et si je vous invitais à vous projeter dans un avenir qui n’est peut-être pas si lointain, êtes-vous prêts?
Qu’est-ce que la servicisation plus précisément?
Ce terme est apparu dans les années 1980. Il désigne la transition de l’entreprise manufacturière qui fabrique des produits bien tangibles vers la vente d’offres intégrées produits + services. Inspirée d’un texte de Michael E. Porter et James E. Heppelmann[1] expliquant la transformation du domaine agricole par l’ajout de technologies et de solutions numériques à différents endroits de la chaîne de valeur, voici l’image qui vaut 1000 mots.
Comme le suggère l’image qui précède, l’idée de la servicisation est de créer davantage de valeur de différentes manières, par exemple par :
- L’augmentation des revenus;
- Une meilleure compétitivité;
- La croissance de l’entreprise;
- La satisfaction et la fidélisation accrues des clients;
- Un cycle de développement de produits optimisé;
- Des barrières à l’entrée plus efficaces face à vos compétiteurs, aussi en recherche de valeur ajoutée.
Dans ce contexte, l’adoption et l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC), des affaires électroniques (AE) qui se combinent à des technologies manufacturières dites de pointe (TMP) sont devenues des incontournables pour le monde industriel. Plus précisément, il peut alors s’agir d’applications numériques, telles que l’infonuagique, la 5G, la connectivité par l’Internet des objets (IoT), l’usage de la réalité augmentée ou virtuelle, sinon d’intelligence artificielle et de bien d’autres encore. Amenant ainsi l’entreprise directement dans le vaste chantier de la transformation numérique pour l’Industrie 4.0. Un chantier dans lequel plusieurs d’entre vous apprenez encore à prendre la pleine mesure des défis et des questions que ces projets suscitent inévitablement. Sujet sur lequel je pourrais encore longuement vous entretenir, mais là n’est pas le propos pour aujourd’hui[2].
Quels sont les enjeux de la servicisation?
Quel que soit votre modèle d’affaires actuel ou la mutation que vous lui ferez subir si vous initiez un ou des projets de servicisation, l’enjeu principal dans ce contexte est très certainement d’évoluer dans un environnement d’affaires où les frontières de l’organisation sont non seulement redéfinies, mais également plus floues qu’auparavant. Plus précisément, cette (re)définition se fait sentir sur les plans relationnels, structurels et, enfin, processuels. Parmi bien d’autres, voici quelques questions de base à vous poser le moment venu :
- Qui sont les partenaires-clés, internes et externes, dont je ne peux plus me passer? Quels types de relations dois-je entretenir avec ceux-ci? Le modèle hiérarchique du grand donneur d’ordres fonctionne-t-il encore? Si oui, pour combien de temps à votre avis? Sinon, suis-je véritablement entré dans un mode relationnel fondé sur la collaboration, plutôt que le simple échange économique interentreprises? Avec qui? Pourquoi?
- Quelles sont les activités-clés qui assurent la rentabilité de l’entreprise? Suis-je dans une logique de pérennité ou de croissance? Car, servicisation ou non, la recherche dans le domaine des petites et moyennes entreprises (PME) est éloquente à l’effet que ce n’est assurément pas le but de toutes ces entreprises que de devenir une multinationale cotée en bourse.
- Est-ce que les flux de matériaux et les flux informationnels sont optimisés, intégrés et suffisamment bien « alignés » pour assurer l’accès à l’information 24h/7 jours/365 jours par année?
- Quelle est la qualité de l’information dont dispose l’entreprise? Est-elle fiable, actuelle, complète, unique, accessible, voire pertinente pour les besoins qui émergent de l’ère numérique? Que m’apprend-t-elle concernant mes clients et les tendances qui se dessinent dans mon secteur d’activités? Comment cette information peut-elle être valorisée dans une démarche de servicisation?
- Etc.
Pour bien des entrepreneurs et des gestionnaires, ces questions indiquent qu’il sera impératif d’identifier et d’accéder aux ressources et aux compétences-clés qui permettront de réaliser cette fameuse innovation à l’ère numérique et du 4.0. D’autant plus que la servicisation mène inévitablement à la remise en question de ce qui constitue encore, sinon constituera, votre « proposition de valeur »[3], une fois vos projets réalisés. Une situation où la transformation à réaliser sera généralement fondée sur les apports de différentes solutions technologiques et numériques certes, mais encore…
… Enfin, quels sont ses effets potentiels pour votre entreprise?
En fait, le point de départ de l’innovation par la servicisation prend son ancrage dans les besoins des clients, de même que leurs demandes pour des produits-services, soit plus sophistiqués, soit complémentaires, soit complètement inédits pour vous. C’est aussi pourquoi cette nouvelle demande de « valeur ajoutée » peut se décliner sur différents plans et, conséquemment, prendre différentes trajectoires pour vos entreprises, et ce, même si elles appartiennent à un même secteur d’activités économiques ou gravitent dans un même écosystème d’affaires.
Imaginez maintenant ce que la servicisation pourrait faire de votre entreprise, de sa nouvelle proposition de valeur et de son modèle d’affaires futur. Pour ce faire, essayez d’imaginer en quoi consistera et quelle sera la cible plus précise de votre prochaine innovation? Vos produits-services? Vos procédés? Une implantation technologique? Une transformation plus générale de l’organisation, voire une possible mutation de votre modèle d’affaires? Toutes ces réponses? Dans tous les cas, il est toutefois plus que probable que vous ferez appel à du capital social sous forme d’expertise externe, plus particulièrement dans le contexte des PME. Vous en doutez? (Re)posez-vous la première question de la section précédente concernant vos partenaires-clés.
C’est aussi pourquoi, bien que la servicisation concerne prioritairement le domaine de la fabrication manufacturière, elle concerne également le secteur des services industriels, scientifiques et professionnels. Pourquoi? Parce que leurs offres se destinent essentiellement à d’autres entreprises (B2B) ou est offerte par l’intermédiaire de centres spécialisés de recherche et développement, ou encore d’organismes de soutien socioéconomique. Il s’agit, en outre, généralement de vos partenaires de la première heure lorsqu’il est question d’innovation. Un constat qui s’avère encore plus vrai à l’ère numérique et du 4.0.
Que retenir de tout ça?
Bien que vous ne fabriquiez pas de tracteurs pour la plupart d’entre vous, ma question demeure la même : Êtes-vous prêts pour la servicisation? Probablement pas, mais je vous invite à y réfléchir plus tôt que tard. Pour vous aider, imaginez ceci : Qu’adviendra-t-il de votre entreprise le jour où vos clients pourront eux-mêmes produire, à l’aide d’une imprimante 3D par exemple, les pièces et les produits que vous leur vendez en ce moment? Farfelu me direz-vous spontanément… Peut-être pour le moment, oui, j’en conviens, mais, pour combien de temps encore?
[1] Porter, M.E. et Heppelmann, J.E. (2014). How smart, connected products are transforming competition. Harvard Business Review, 1-24. Saisie le 25-03-2022, de https://hbr.org/2014/11/how-smart-connected-products-are-transforming-competition.
[2] Si le sujet vous intéresse, vous pouvez consulter un texte que j’ai écrit en 2017 en cliquant ici : https://ccishawinigan.com/les-defis-de-la-transformation-numerique-ou-comment-survivre-aux-tendances/ Mon intuition me dit que ces questions restent encore très utiles, et ce, bien que 5 années se soient écoulées depuis, pandémie en sus.
[3] Trois minutes de votre temps qui seront bien investies pour comprendre le concept de « proposition de valeur » avec Yves Pigneur en cliquant ici : https://www.youtube.com/watch?v=BFK_WMkshL8
Auteure
Claudia Pelletier, DBA
Professeure agrégée en systèmes d’information
Membre de l’Institut de recherche sur les PME (INRPME)
Membre du Centre interordres en recherche et transfert du manufacturier intelligent (CIRT-MI/CNIMI)
Université du Québec à Trois-Rivières
www.uqtr.ca/Claudia.Pelletier
[email protected]
(819) 376-5011, poste 4271
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